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Critique et Extrapolation
22 mai 2014

De Drive à Only god forgive ou d'un plébiscite à une incompréhension populaire

En 2011 le film Drive réalisé par Nicolas Winding Refn (Bronson, Valhalla Rising) rencontre un succès triomphant aussi bien critique que populaire. Son film suivant Only god forgive, reçoit un accueil très mitigé au point d'être hué lors de sa présentation à Canne. Personnellement, j'ai pleinement apprécié ces films qui ont tous les deux leurs qualités respectives. Étant surpris par ce désamour soudain des spectateurs pour le second, je vais tenter d'en analyser les principales raisons.

Résumé Drive : Un jeune homme solitaire conduit le jour à Hollywood pour le cinéma en tant que cascadeur et la nuit pour des braquages. Professionnel et peu bavard, il a son propre code de conduite. Il va faire la rencontre d'Irene et son fils, lorsque le mari d'Irene sort de prison il va se retrouver enrôlé de force dans un braquage qui va mal tourner.

Résumé de Only god forgive : Julian dirige un club de boxe thaïlandaise servant de couverture à un trafic de drogue. Sa mère, débarque des États-Unis afin de rapatrier le corps de son fils préféré, Billy, le frère de Julian qui vient de se faire tuer pour avoir sauvagement massacré une jeune prostituée. Elle exige de Julian la tête des meurtriers. Julian devra alors affronter un étrange policier.

Comme nous allons le voir, la thématique principale des deux films est commune: le fatalisme. La différence se porte donc plus principalement sur le traitement de celle-ci.

Du langage verbal au langage pictural :

Le principal reproche qui est fait à Only god forgive est sa lenteur, alors que Drive possède lui aussi un montage plus lent que la plupart des grosses productions récentes. La différence étant que le montage de Drive, bien que possédant de nombreux passages contemplatifs ''muets'' reste rythmé par une succession de dialogues. Là où Only god forgive diffère par une approche moins conventionnelle.

En effet, Only god forgive qui n'est pas dédié à Alejandro Jodorowsky (El Topo, La Montagne sacré) par hasard possède un langage principalement pictural et symbolique au détriment des dialogues. Le choix des couleurs utilisées donne en partie les clefs de compréhension de ce film, par exemple le rouge est omniprésent dans les plans ayant un rapport avec la violence, les plans sur les mains du héros très souvent en rouge rappellent constamment le péché de celui-ci (le meurtre du père). Une autre partie des clefs de compréhension réside dans les symboles : la statue aux traits du héros dans le local de boxe, le policier représentant l'autorité suprême, la mère castratrice qui met à jour ses névroses.

Ce type de langage, que l'on pourrait qualifier d'indirect, influe sur la compréhension du film, pouvant porter à confusion en multipliant les interprétations. L'utilisation de ce langage a aussi influé sur la complexité du scénario. En effet, il a aussi été reproché au film un scénario trop simpliste. Mais, en utilisant un langage essentiellement indirect, un scénario plus complexe n'aurait apporté que davantage de confusion et aurait desservi le propos principal du film.

 

L'extrapolation cauchemardesque de l'impuissance :

Dans Drive, l'impuissance du héros n'est pas totale, même si sa situation est inextricable et qu'il est, au final, condamné à se séparer d'Irene. Le film laisse entrevoir un espoir en lui donnant l'impression de pouvoir agir sur son destin et de combattre ses opposants qui ne restent que des hommes avec leurs faiblesses.

Dans Only god forgive, on s'aperçoit vite que son Némésis est bien plus qu'un humain. Selon différentes interprétations, il peut être décrit comme la ''justice'', le ''destin'', ou tout simplement ''dieu''. De par sa toute puissance dans le film, il est inattaquable, chaque tentative pour l'affronter est vaine et se retourne contre l'instigateur. Le parcours du héros sera donc de comprendre cela et d'accepter son sort.

C'est selon moi, ce qui a le plus joué défavorablement dans l'accueil du film. Les spectateurs s'attendent généralement en allant voir un film à entrer en empathie avec le héros et ainsi à vivre par procuration les épreuves et récompenses de celui-ci. La radicalité avec laquelle le thème du fatalisme est imposé dans Only god forgive fait que toutes les actions contre ''dieu'' se soldent par un échec, rendant ainsi le spectateur otage d'un sentiment d'impuissance qui, si on ne prend pas le recul nécessaire, peut s’avérer fort déplaisant.

L'audace du réalisateur a permis de créer un film où cette impuissance du héros nous malmène personnellement, laissant un goût d'amertume et de résignation. Ce n'est pas une première en soi, de nombreux films ont pour objectif de malmener le spectateur et de le bousculer dans ses habitudes (Dans le cinéma contemporain, Funny games de Michel Haneke qui brise le 4ème mur ou Seul contre tous de Gaspar Noé et sa violence moralement inacceptable en sont de bons exemples). Mais ce film fait suite à Drive qui a conquis un large public et dont une bonne partie s’attendait à un film plus conventionnel et ne nécessitant pas de remise en question de leur part.

 

Pour apprécier Only God Forgive à sa juste valeur, il faut accepter le fait que le film ait un langage et une histoire qui lui sont propre, qu'il soit basé avant tout sur des sensations, des pulsions et leurs conséquences. Il faut aussi accepter le parti pris de l'inéluctabilité des événements, même si cela est contraire à notre sens commun, nous perturbant ainsi dans notre rôle de simple spectateur.

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